Le 14 mars 1985, la population comorienne apprend par les ondes de " Radio Comores" une surprenante nouvelle leur annonçant qu'une tentative de coup d'état au centre de laquelle se trouve impliqué le" le Front démocratique" venait d'être déjouée par les forces de la sécurité comorienne.
Un communiqué laconique lu par le ministre Bazi SELIM, assurant l'intérim de la présidence en l'absence du chef de l'Etat en voyage privé à Paris, indiquait que des soldats de la Garde présidentielle (GP) manipulés par des civils venaient d'être arrêtés.
Mais l'évènement le plus spectaculaire demeure incontestablement l'arrestation le 11 mars 1985 de Moustoifa Said Cheikh, premier secrétaire du Front démocratique et principal leader du mouvement révolutionnaire comorien.
L'arrestation de cette figure emblématique de l'opposition révolutionnaire confirmait la version avancée par le gouvernement selon laquelle le Front démocratique serait l'instigateur de la tentative de déstabilisation des institutions de la République fédérale islamique des Comores.
En accusant le vendredi 15 mars 1985 Moustoifa Said Cheikh et le F.D d’être les auteurs du coup d’état manqué, Abdérémane Mohamed, secrétaire du parti gouvernemental (l’UCP) prenait le contre-pied du commentaire sommaire du président Abdallah qui parlait de « tentative de mal faire de la part d’éléments de la GP drogués et de civils drogués également » dans une interview accordée à Radio France Internationale.
Une thèse rapidement abandonnée par le président dès son retour à Moroni le 19 mars 1985. Le Rais, dans son allocution radiodiffusée du 21 mars 1985 déclarait à la nation qu’il détenait des documents et des témoignages accablants et irréfutables prouvant l’implication de Moustoifa et de son parti dans le complot du 8 mars 1985.
A la surprise générale, le président Abdallah révéla de surcroît l'existence d'une organisation communiste clandestine dénommée " M.C.M.L.C" (mouvement des communistes marxiste léniniste des Comores) inconnue jusque là dans le landerneau politique comorien.
Ce mouvement aurait pour objectifs selon les sources citées par le Rais de renverser le pouvoir, liquider physiquement certaines personnalités politiques et instaurer un régime communiste dont le gouvernement serait essentiellement composé des dirigeants du Front Démocratique.
Devant cette tentative de déstabilisation intérieure, Ahmed Abdallah qui était confronté à des dissensions internes (conflit opposant Taki et Mroudjaé) et intrigué par la rocambolesque aventure du soldat ANWAR de la garde présidentielle, jugea l'occasion opportune pour se débarrasser de l'aile radicale de son opposition.
Il ordonna aux mercenaires qui encadraient sa garde personnelle, sous l'oeil vigilant de Bob Denard de rétablir l'ordre et la sécurité.
Une centaine d'arrestations de militants et de sympathisants du F.D fut opérée brutalement dans l'ensemble des îles. Elle fut accompagnée d’une vaste campagne anti-communiste orchestrée par le Mufti de la République et Youssouf Abdoulhalik, principaux idéologues du régime des Fédharilés comme le nommait la feuille de propagande révolutionnaire « la voix du peuple ou Sawuti ya Umati ».
Il s’agit du premier cortège de mesures répressives arrêtées par le pouvoir et le président Abdallah pour liquider définitivement le F.D.
Au centre des interrogations que soulèvent les observateurs attentifs de la vie politique locale et l'opinion publique figure cette question centrale: la tentative du 8 mars 1985 marquait t- elle l'échec de la stratégie révolutionnaire de la conquête du pouvoir par le F.D et le mouvement révolutionnaire comorien? Ou plutôt une machination politique manigancée par le pouvoir pour réprimer et étouffer l'opposition révolutionnaire comme le clamaient ses militants et les défenseurs des droits de l’homme?
On attend depuis un quart de siècle, des anciens dirigeants et hauts responsables du Front démocratique et de toutes les composantes du mouvement révolutionnaire comorien, des clarifications sur le mystère et l'opacité qui entourent cette « affaire du 8 mars » dont les conséquences politiques et idéologiques ont vivement marqué la génération Mao, autrement connue sous l’appellation de « Msomo Wanyumeni ».
Au lieu d'éclairer l'opinion, les acteurs impliqués directement dans ces événements se sont retranchés dans le mutisme et imposé l’omerta.
Ils ont définitivement tourné la page et effacé d'un revers de la main leur passé révolutionnaire pour ne plus assumer collectivement et individuellement leurs responsabilités.
S'agit il tout simplement d'un reniement du militantisme révolutionnaire dont les conséquences se sont avérées douloureuses pour beaucoup d'entre eux qui ont enduré les privations de liberté et subi les tortures dans les geôles de la république des affreux et des notables?
Difficile de répondre à ces interrogations en raison de la chape de plomb qui pèse sur ladite affaire. Le silence et l'absence de débats à l'intérieur de la nébuleuse mouvance révolutionnaire au lendemain de ces évènements ne favorisaient pas l'éclosion de la vérité.
Le Front démocratique crée lors des législatives de mars 1982, vitrine semi-légale du M .C.M.L.C dans la première moitié de la décennie 80, semble ignorer aujourd’hui que l’absence de clarification sur « l’affaire du 8 mars » nourrit le doute et le discrédit de l’opinion à l’égard de ses dirigeants.
En opposant un non catégorique aux militants et sympathisants qui exigeaient à l’époque l’amorce d’un bilan et l’analyse approfondie des origines et des conséquences des événements de mars 1985, le FD a perdu sa crédibilité.
Depuis, il assista passivement à la décomposition et à la désagrégation de ses forces militantes et à la mort lente de l'idéologie et des idéaux qu'il défendait.
Aujourd’hui, ce parti qui incarna l'espoir et le changement et qui rassemblait la quasi totalité des intellectuels et des cadres de la décennie 80 a perdu ses troupes.
Il est devenu un parti marginal que seul Abdou Mhoumadi croit à tort avoir rempli sa mission historique en appelant à sa dissolution dans un point de vue publié par le quotidien Albalad. Une thèse fort discutable pour les raisons suivantes :
Le projet de société de cette courroie de transmission du mouvement révolutionnaire comorien me semble t-il visait à « renverser le pouvoir de la grande bourgeoisie et de l’impérialisme, mettre à bas toutes ses institutions et bâtir à la place, un régime d’unité nationale et de progrès, la Démocratie nouvelle, traduite littéralement par Démocrasy Mpiya.
Un Etat démocratique et populaire qui incarnera les intérêts de toutes les classes populaires et de progrès, promouvant l’unité nationale avec le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, laique et prônant la séparation de l’Etat et de la religion.
La dissolution des institutions fédérales et l’instauration d’une administration centralisée, unique et efficace figuraient en bonne place dans les propositions du Front démocratique au même titre que la réforme agraire, les nationalisations des propriétés féodales, des sociétés coloniales et des mercenaires. La terre devrait être distribuée à ceux qui la travaillent.
Ce projet est tombé aux oubliettes et jeté aux orties compte tenu des mutations intervenues dans le monde depuis la chute du mur de Berlin en 1989.
Force est de reconnaître que l’effondrement politico - idéologique du F.D est l’œuvre du président Ahmed Abdallah et des mercenaires. Elle constitue la plus grande victoire politique enregistrée par ce dernier en quarante ans de vie publique.
La déroute de ce parti, le plus important et mieux organisé des mouvements maoistes de l’océan indien, qui se réclamait de Marx, Engels, Lénine, Staline et de la pensée du grand timonier Mao TSE TOUNG mérite l’attention des historiens.
Dans cette perspective, il me parait intéressant que tous ceux qui ont consacré pendant des années une partie de leur vie aux idées et à l'idéologie incarnées par ce mouvement tentent de systématiser l'expérience d'une décennie de lutte acharnée contre les pouvoirs en place à Moroni.
Une démarche que j’entends initier modestement ici en soulevant le débat sur la place publique.
Une façon pour moi d’inciter les acteurs, les militants et les intellectuels qui gravitaient autour de cette mouvance à sortir de leur silence complice et complaisante à s'exprimer sur la défaite du mouvement révolutionnaire et de l'idéologie marxiste – léniniste véhiculée dans l'intelligentsia comorienne des années 70 et 80.
Mais c’est aussi et surtout l’œuvre de la communauté des historiens.
Bakari MOHAMED
Le 28 février 2010
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Je suis porté à croire que vous allez lire ce message qui serait un commentaire, mais qui n'est autre qu'une sorte de retrouvaille après cinq ans sans correspondance.
RépondreSupprimerJe suis en effet votre ancien élève et frère cadet, DJOUMOI Ali Madi, originaire de Ndzaouzé. Nous nous sommes rencontrés en 2005 pour des entretiens sur mon travail de thèse dont le sujet est "Les étudiants et le nationalisme: le cas des Comores".
J'ai toujours pensé à vous, mais hélas. Je viens par hasard de tomber sur votre blog.
Je vous annonce que je viens de décrocher le diplôme de doctorat en histoire conteporaine de l'université de Nanterre depuis le 02/12/2010. C'était une tâche qui m' a pris six ans et laquelle était compliquée en partie pour le type de sujet. La cérmonie de la soutenance était d'ailleurs une sorte de tribue politique contre l'homogénéité de la nation comorienne que j'ai defendue.
Mon travail porte essentiellement sur l'étude du processus de radicalisation de l'ASEC pour déterminer ses causes et ses conséquences.
Je crois avoir fait le bilan du mouvement révolutionnaire comorien né de l'ASEC.
j'ai besoin de votre concours pour lire mon trvail. D'abord pour vous remercier de m'avoir aidé, mais aussi j'ai l'intention de le publier.
Djoumoi Ali Madi
djoumoi_alimadi@yahoo.fr
0665550211