lundi 22 mars 2010

Mariage: la communauté de Mitsamiouli en France entre tradition et modernité.

La question de l'organisation des mariages traditionnels dans la communauté de Mitsamiouli est un problème réccurent qui ressurgit à chaque fois qu'une famille issue de cette localité a "raté" l'organisation matérielle et protocolaire d'un mariage traditionnel.
Les bonne âmes et les gardiens des traditions de notre région se sentent humiliés, déshonorés et discrédités aux yeux des personnalités du Milanantsi grand-comorienne.
Cet affront public affecte un certain nombre de nos notables qui réclament à cor et à cri leur association à l'organisation de ces mariages pour éviter ainsi des humiliations qui ternissent la réputation de notre ville.
Que nous reproche Yé Ngazidja ou plus précisément la féodalité grand-comorienne? quelles réponses et solutions leur propose t-on pour marquer notre singularité et défendre une approche différente, novatrice et alternative au mariage traditionnel comorien en France?
Yé Milantsi Yahé Ngazidja reproche principalement aux Mitsamiouliens leur ambivalence, leur absence de choix clair et sans ambages entre la modernité du mariage civil et les célébrations traditionnelles qui animent les banlieues des grandes agglomérations françaises durant les week-ends?
Mitsamiouli navigue dans des eaux troubles et n'arrive pas à opérer un choix.Souvent absents de ces cérémonies traditionnelles, nos compatriotes critiquent et pourfendent vigoureusement ces pratiques jugées ostentatoires et inadaptées aux réalités françaises.
Beaucoup considèrent que les sommes faramineuses accompagnées des bijoux, de la garde robe du marié,suivi na Mlazo mwana et de l'incontournable cérémonie féminine du Ukumbi atteignent plusieurs milliers d'euros et relèvent de l'absurdité. Un mariage non reconnu au pays et qui pose problème.
Mais dès lors qu'il s'agit d'un mariage d'une jeune femme ou jeune homme de Mitsamiouli, autrement dit lorsque chacun d'entre nous est concerné et doit marier sa fille, son fils, son frère, neveu ou tout proche, les pourfendeurs des archaismes appliquent les mêmes recettes et recourt inévitablement au mariage traditionnel.
Sauf que nous l'organisons mal et sommes souvent la risée du reste de la communauté comorienne, entendons nous souvent dire.
Cette situation perdure depuis des années et mérite un débat de grande envergure dans l'ensemble de notre communauté. Nous n'y échapperons pas car les événements de ces derniers mois viennent nous remémorer et bousculer nos consciences.
Les Mitsamiouliens de l'hexagone doivent sortir de leur mutisme et participer à une réflexion colective. Nous devons repenser globalement notre approche sur l'organisation du mariage traditionnel en France et tenter d'unifier nos points de vues et notre façon de faire.
La question posée est celle de savoir si nous devons réformer le mariage traditionnel, le simplifier et l'adapter aux contingences de la société dans laquelle nous évoluons et le pays de naissance de notre progéniture? ou opter pour le mariage traditionnel tel qu'il est organisé et pratiqué par l'ensemble de la communauté comorienne expatriée.
Là gît le problème. La question centrale s'articule autour de la place et du rôle de Mitsamiouli dans le système du Milanantsi en France.
Mitsamiouli ne doit pas se recroqueviller ni s'isoler du reste de la notabilité comorienne. Notre présence dans les différentes instances représentatives des régions,des villages et villes des Comores s'avère nécessaire et très utile.
Mais pas à n'importe quelles conditions. Dès lors qu'il s'agira de défendre les intérêts généraux de la communauté comorienne en France auprès des autorités, des institutions françaises et des pouvoirs publics comoriens, réaffirmer notre identité et préserver nos valeurs culturelles, sociales et religieuses dans le respect des principes républicains et laics de ce pays, Mitsamiouli doit répondre présent.
En revanche, nous devons servir d'aiguillon pour bousculer les archaismes et les mentalités rétrogrades et féodales qui freinent l'insertion de notre communauté dans la société française.
De mon point de vue, Mitsamiouli doit bannir toute forme de mariage forcé et se hisser en première ligne pour défendre la cause des jeunes qui assistent passivement à un gâchis annoncé de leur vie de couple par ces mariages arrangés et forcés.
Nous ne devons pas nous voiler la face en persistant à croire que ce gâchis n'affecte que nos amis sénégalais, maliens ou nord africains. On peut comprndre la fiereté de tout parent comorien de voir sa progéniture mariée avec un ou une compatriote au nom de la tradition et de la religion. Certes, mais pas au détriment des jeunes mariés.
La pratique de l'endogamie n'est pas répréhensible à condition de laisser à ces jeunes la possibilité de se choisir et de s'aimer. D'autant plus que l'importance démographique de la jeunesse comorienne en france n'est pas à démontrer et leur laisse plus de choix.
Ces jeunes disposent de relais et de leiux de sociabilités pour se rencontrer, se découvrir et finir par s'aimer et se marier. La foultitude d'associations, les lycées et les établissements supérieurs ainsi que les séjours au pays durant la période estivale constituent à la fois des lieux et des occasions de rencontres.
L'expérience des années 70 et 80 l'a bien trouvé. A l'époque, les étudiants et stagiaires comoriens dispersés dans les différentes académies en france militant ou pas dans l'association des stagiaires et étudiants des Comres, originaires d'îles et de villages différents se côtoyaient, se rencontraient et finissaient par s'épouser sans contrainte.
Un maorais épousait une grande comorienne et un badjinien une fille de la capitale. Cette diversité contribuait à façonner l'appartenance à un pays, à un peuple et brisait timidement le sentiment chauvin et réducteur prédominant.
Une pratique que l'on rencontrait dejà dans les années 50 et 60 à Madagascar et à Zanzibar, premières terres d'immigration comorienne. Elle existe encore ici dans la communauté et fort heureusement.
La nouveauté, c'est le côté " arrangé et matérialiste" de ces mariages depuis le début des années 90. On se marie pour " régulariser une situation juridique" et obtenir des papiers.
Les comoriens "installés" entendez ceux qui ne connaissent pas les souffrances de la la clandestinité et qui de surcroît disposent du sésame de la nationalité française se croient tout permis et imposent leurs règles.
Ils osent frapper à toutes les portes et demander en mariage des jeunes femmes ou des jeunes hommes de milieux, social, économique, intellectuel ou régional différents des leurs.
Le mariage se monnaie. Il a une valeur marchande autre que la dot. Ce que nos jeunes nés ici éprouvent du mal à comprendre et à admettre. Très peu opposent de la résistance de peur de se voir marginaliser ou de froisser des parents attachés aux traditions.
C'est pourquoi les éduacteurs et parents que nous sommes, devons collectivement réfléchir à ces questions et tenter d'apporter un début de réponse en usant la pédagogie et l'éducation pour faire évoluer les mentalités.
Les tabous et les totems doivent être brisés en instaurant et privilégiant quelques règles et principes de base dans la pratique du mariage dans la communauté de Mitsamiouli en France:
1) Encourager les mariages civils célébrés en mairie suivi d'un cocktail, banquet et d'une cérémonie de présentaion de la mariée avant le bal.
2) Inciter les familles à organiser les cérémonies traditionnelles et à les réaliser aux Comores selon les formes actuellement en vigueur la bas: Posso, Mbayinicho, Mdhoihiricho ou carrément le grand mariage.
3) Instaurer un système " Yahumbiza" strictement limité au cercle familial, les mias et les proches des deux familles.
Des règles et principes à enrichir et qui seraient les bienvenus.
Bakari MOHAMED
Le 22 mars 2010

mardi 2 mars 2010

La conquête du ciel: ou la stratégie révolutionnaire de la prise du pouvoir par le Front Démocratique

Le 14 mars 1985, la population comorienne apprend par les ondes de " Radio Comores" une surprenante nouvelle leur annonçant qu'une tentative de coup d'état au centre de laquelle se trouve impliqué le" le Front démocratique" venait d'être déjouée par les forces de la sécurité comorienne.

Un communiqué laconique lu par le ministre Bazi SELIM, assurant l'intérim de la présidence en l'absence du chef de l'Etat en voyage privé à Paris, indiquait que des soldats de la Garde présidentielle (GP) manipulés par des civils venaient d'être arrêtés.

Mais l'évènement le plus spectaculaire demeure incontestablement l'arrestation le 11 mars 1985 de Moustoifa Said Cheikh, premier secrétaire du Front démocratique et principal leader du mouvement révolutionnaire comorien.

L'arrestation de cette figure emblématique de l'opposition révolutionnaire confirmait la version avancée par le gouvernement selon laquelle le Front démocratique serait l'instigateur de la tentative de déstabilisation des institutions de la République fédérale islamique des Comores.

En accusant le vendredi 15 mars 1985 Moustoifa Said Cheikh et le F.D d’être les auteurs du coup d’état manqué, Abdérémane Mohamed, secrétaire du parti gouvernemental (l’UCP) prenait le contre-pied du commentaire sommaire du président Abdallah qui parlait de « tentative de mal faire de la part d’éléments de la GP drogués et de civils drogués également » dans une interview accordée à Radio France Internationale.

Une thèse rapidement abandonnée par le président dès son retour à Moroni le 19 mars 1985. Le Rais, dans son allocution radiodiffusée du 21 mars 1985 déclarait à la nation qu’il détenait des documents et des témoignages accablants et irréfutables prouvant l’implication de Moustoifa et de son parti dans le complot du 8 mars 1985.

A la surprise générale, le président Abdallah révéla de surcroît l'existence d'une organisation communiste clandestine dénommée " M.C.M.L.C" (mouvement des communistes marxiste léniniste des Comores) inconnue jusque là dans le landerneau politique comorien.

Ce mouvement aurait pour objectifs selon les sources citées par le Rais de renverser le pouvoir, liquider physiquement certaines personnalités politiques et instaurer un régime communiste dont le gouvernement serait essentiellement composé des dirigeants du Front Démocratique.

Devant cette tentative de déstabilisation intérieure, Ahmed Abdallah qui était confronté à des dissensions internes (conflit opposant Taki et Mroudjaé) et intrigué par la rocambolesque aventure du soldat ANWAR de la garde présidentielle, jugea l'occasion opportune pour se débarrasser de l'aile radicale de son opposition.

Il ordonna aux mercenaires qui encadraient sa garde personnelle, sous l'oeil vigilant de Bob Denard de rétablir l'ordre et la sécurité.

Une centaine d'arrestations de militants et de sympathisants du F.D fut opérée brutalement dans l'ensemble des îles. Elle fut accompagnée d’une vaste campagne anti-communiste orchestrée par le Mufti de la République et Youssouf Abdoulhalik, principaux idéologues du régime des Fédharilés comme le nommait la feuille de propagande révolutionnaire « la voix du peuple ou Sawuti ya Umati ».
Il s’agit du premier cortège de mesures répressives arrêtées par le pouvoir et le président Abdallah pour liquider définitivement le F.D.

Au centre des interrogations que soulèvent les observateurs attentifs de la vie politique locale et l'opinion publique figure cette question centrale: la tentative du 8 mars 1985 marquait t- elle l'échec de la stratégie révolutionnaire de la conquête du pouvoir par le F.D et le mouvement révolutionnaire comorien? Ou plutôt une machination politique manigancée par le pouvoir pour réprimer et étouffer l'opposition révolutionnaire comme le clamaient ses militants et les défenseurs des droits de l’homme?

On attend depuis un quart de siècle, des anciens dirigeants et hauts responsables du Front démocratique et de toutes les composantes du mouvement révolutionnaire comorien, des clarifications sur le mystère et l'opacité qui entourent cette « affaire du 8 mars » dont les conséquences politiques et idéologiques ont vivement marqué la génération Mao, autrement connue sous l’appellation de « Msomo Wanyumeni ».

Au lieu d'éclairer l'opinion, les acteurs impliqués directement dans ces événements se sont retranchés dans le mutisme et imposé l’omerta.

Ils ont définitivement tourné la page et effacé d'un revers de la main leur passé révolutionnaire pour ne plus assumer collectivement et individuellement leurs responsabilités.

S'agit il tout simplement d'un reniement du militantisme révolutionnaire dont les conséquences se sont avérées douloureuses pour beaucoup d'entre eux qui ont enduré les privations de liberté et subi les tortures dans les geôles de la république des affreux et des notables?

Difficile de répondre à ces interrogations en raison de la chape de plomb qui pèse sur ladite affaire. Le silence et l'absence de débats à l'intérieur de la nébuleuse mouvance révolutionnaire au lendemain de ces évènements ne favorisaient pas l'éclosion de la vérité.

Le Front démocratique crée lors des législatives de mars 1982, vitrine semi-légale du M .C.M.L.C dans la première moitié de la décennie 80, semble ignorer aujourd’hui que l’absence de clarification sur « l’affaire du 8 mars » nourrit le doute et le discrédit de l’opinion à l’égard de ses dirigeants.

En opposant un non catégorique aux militants et sympathisants qui exigeaient à l’époque l’amorce d’un bilan et l’analyse approfondie des origines et des conséquences des événements de mars 1985, le FD a perdu sa crédibilité.

Depuis, il assista passivement à la décomposition et à la désagrégation de ses forces militantes et à la mort lente de l'idéologie et des idéaux qu'il défendait.

Aujourd’hui, ce parti qui incarna l'espoir et le changement et qui rassemblait la quasi totalité des intellectuels et des cadres de la décennie 80 a perdu ses troupes.

Il est devenu un parti marginal que seul Abdou Mhoumadi croit à tort avoir rempli sa mission historique en appelant à sa dissolution dans un point de vue publié par le quotidien Albalad. Une thèse fort discutable pour les raisons suivantes :

Le projet de société de cette courroie de transmission du mouvement révolutionnaire comorien me semble t-il visait à « renverser le pouvoir de la grande bourgeoisie et de l’impérialisme, mettre à bas toutes ses institutions et bâtir à la place, un régime d’unité nationale et de progrès, la Démocratie nouvelle, traduite littéralement par Démocrasy Mpiya.

Un Etat démocratique et populaire qui incarnera les intérêts de toutes les classes populaires et de progrès, promouvant l’unité nationale avec le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, laique et prônant la séparation de l’Etat et de la religion.
La dissolution des institutions fédérales et l’instauration d’une administration centralisée, unique et efficace figuraient en bonne place dans les propositions du Front démocratique au même titre que la réforme agraire, les nationalisations des propriétés féodales, des sociétés coloniales et des mercenaires. La terre devrait être distribuée à ceux qui la travaillent.

Ce projet est tombé aux oubliettes et jeté aux orties compte tenu des mutations intervenues dans le monde depuis la chute du mur de Berlin en 1989.

Force est de reconnaître que l’effondrement politico - idéologique du F.D est l’œuvre du président Ahmed Abdallah et des mercenaires. Elle constitue la plus grande victoire politique enregistrée par ce dernier en quarante ans de vie publique.

La déroute de ce parti, le plus important et mieux organisé des mouvements maoistes de l’océan indien, qui se réclamait de Marx, Engels, Lénine, Staline et de la pensée du grand timonier Mao TSE TOUNG mérite l’attention des historiens.

Dans cette perspective, il me parait intéressant que tous ceux qui ont consacré pendant des années une partie de leur vie aux idées et à l'idéologie incarnées par ce mouvement tentent de systématiser l'expérience d'une décennie de lutte acharnée contre les pouvoirs en place à Moroni.

Une démarche que j’entends initier modestement ici en soulevant le débat sur la place publique.
Une façon pour moi d’inciter les acteurs, les militants et les intellectuels qui gravitaient autour de cette mouvance à sortir de leur silence complice et complaisante à s'exprimer sur la défaite du mouvement révolutionnaire et de l'idéologie marxiste – léniniste véhiculée dans l'intelligentsia comorienne des années 70 et 80.
Mais c’est aussi et surtout l’œuvre de la communauté des historiens.

Bakari MOHAMED
Le 28 février 2010