lundi 25 janvier 2010
Nation et sécession: l'unité comorienne est-elle en danger?
Les électeurs des trois îles ont désigné le 20 décembre 2009 leurs représentants à l'assemblée de l'Union des Comores.
Le camp du pouvoir en place a remporté haut la main l'écrasante majorité des sièges à pourvoir, confortant ainsi la légitimité du président Ahmed Abdallah Sambi.
Une victoire entachée et marquée par la corruption généralisée mais que la communauté internationale a validée.
L'opposition est réduite à la portion congrue et représente une part microscopique à l'Assemblée et au Congrès.
Depuis quelques semaines, des voix stridentes s'élèvent et protestent avec véhémence contre la stratégie du président et de son entourage consistant à prolonger son mandat au delà du mois de mai 2010.
Une violation flagrante des " accords de Fomboni" pourtant parrainée également par la même communauté internationale.
L'ancien président Azali Assoumani sorti du bois, se hisse à la tête de cette fronde. Il se pose de façon magistrale comme le gardien et la caution morale des institutions qu'il a contribuées à mettre en place et que son successeur veut démolir.
Comme à l'accoutumée, les oppositions protestent. Les intellectuels et les cadres non encore inféodés au régime pétitionnent, débattent dans les différents organes de presse et de communication et tentent de sensibiliser les opinions nationale et internationale sur le danger d'une telle dérive .
Les élus mohéliens brandissent la menace de ne pas siéger à l'assemblée. Ils envisagent même de pratiquer la politique " de la chaise vide". Ce qui nous ramènerait 35 ans en arrière et nous rappelle l'époque où les députés maorais de l'assemblée territoriale se comportaient face au président du conseil, Ahmed Abdallah.
Ces élus se plaignent à juste titre d'être les laissés pour compte . Ils exigent le respect des accords signés à Fomboni préconisant que la présidence de l'Union des Comores reviendrait à une mohélienne ou à un mohélien en 2010.
La menace sécessionniste guette le pays. Les vieux démons refont surface. Treize années après l'aventure anjouanaise, Mohéli se rebiffe. La malédiction plane une fois de plus dans les cieux des Comores . Certains grands comoriens ravivent la haine anti-Mdzuwani et nourrissent la xénophobie. La très fragile unité nationale connaît des craquements. Elle se fissure aux yeux de nous tous, à un moment crucial de l'histoire nationale: Mayotte, la première des îles à manifester ses velleités séparatistes s'achemine vers la départementalisation en 2011.
Le président Sambi récidive . Lui que l'on a présenté abusivement comme le héros de la libération de l'île d'Anjouan se pare de la toge de défenseur de l'intégrité territoriale en avançant cette offre "un Etat, deux administartion " est entrain de décrédibiliser les thèses soutenues depuis la création de l'Etat comorien, basées sur l'unité intangible de l'archipel des Comores.
Il faut être dupe pour croire en la sincérité du Raîs et au serieux de la proposition qu'il a faite à l'assemblée générale des nations unies. Et pourtant ladite thèse séduit et reçoit l'onction du Comité Maoré qui ne jure que par Sambi et son offre diplomatique pour règler définitivement le contentieux comorien.
A mon humble avis, les politiques comme la société civile qui ont participé à la gestion des affaires de l'Etat ces dernieres années , et ce depuis le décès du président Abadallah en 1989 , endossent une lourde part de responsabilité.
Ils ont conçu à la hâte des institutions bâtardes dont la plus idiote demeure l'usine à gaz qui a fait l'objet de la modification constitutionnelle contestée, pour se partager les pouvoirs avec la bénédiction de la communauté internationale, hélas complice du malheur qui frappe ce pays .
Le jeune Etat comorien , né au forceps et de la douleur de la séparation de Mayotte en 1975, souffre d'une instabilité constitutionnelle et politque chronique, caractéristique fondamentale des Comores post-indépendantes.
En effet, Ce pays en apprentissage de la démocratie a changé cinq fois de constitution en l'espace de 35 années d'indépendance. Quelle crédibilité , Mesdames et Messieurs les politiques, vous les défenseurs irréductibles de l'unité comorienne et de Mayotte et les simples citoyens que nous sommes, avons nous aux yeux de l'opinion internationale et de nos cousins maorais lorsque chaque île composant l'Union des Comores menace à chaque mouvement d'humeur de se séparer et de faire imploser le pays?
Au lieu de se s'interroger sur les causes profondes de cette immaturité politique et chronique et d'identifier les racines de l'irrédentisme obsessionnel qui hante chacune des îles, les intellectuels et les cadres politiques et administratifs de ce pays s'attachent à bricoler à la hâte des solutions que l'on pense pérennes mais qui ne résolvent aucunement les problèmes soulevés. On s'attaque aux conséquences et oublie de façon consciente et concertée d'aborder les questions de fond.
L'enjeu est pourtant de taille car l'unité nationale est malmenée et gravement menacée. Pendant que Sambi et ses amis s'accrochent au pouvoir, dressent Mohéli et la Grande comore contre Anjouan, restaurent l'instabilité politique et aggravent l'insécurité sociale et économique, les intellectuels doivent serieusement se pencher sur l'idée et le concept mêmes de la nation comorienne.
Oser sans complexe ni démagogie se débarasser des scories de la politisation outrée et exagérée des concepts fondamentaux de la Nation, de la Patrie, et de l'Etat comoriens, galvaudés et dénaturés consciemment pour servir la cause de la revendication maoraise.
De quelle nation parlons nous? Comment la définissons- nous et qu'en est-elle aujourdh'ui?
Au delà de la langue, de la religion, des origines ethniques, des coutumes unanimement reconnus et ressassés, existe t-il une volonté commune et partagée de vivre ensemble?
Aussi provocateurs qu'ils paraîssent,ces questionnements auront je l'espère le mérite d'engager le débat et de susciter la réflexion collective.
Ce débat longtemps capturé par le militantisme et les politiques relève d'abord du champ des intellectuels et de tous ceux qui pensent, réfléchissent et conceptualisent .
Il leur appartient de nous éclairer sur ces sujets brûlants pour que les gouvernants et la société civile puissent s'approprier less fruits de leurs contributions et mener le travail de pédagogie, d'éducation et de persuation qui me semble nécessaire.
Pour engager ce début de rélexion, je me dois de citer largement le philosophe et historien RENAN qui demeure incontestablement celui qui a apporté le plus dans la définition du concept de nation (à la française bien sur) par rapport à celle des germaniques.
Ernest RENAN définissait en 1869 la nation comme" une âme, un principe spirituel...deux choses qui n'en font qu'une. L'une est dans lepassé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçus indivis.
La nation poursuit cet auteur est donc une "grande solidarité, constituée par le sentiment de sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune".
Cette définition fait débat aujourdh'ui dans une vieille nation que nous connaissons bien , la France. Elle mérite d'être auscultée chez nous, dans une optique conforme aux réalités comoriennes contemporaines sans pour autant renier son caractère universel.
Bakari MOHAMED
25 janvier 2010
dimanche 24 janvier 2010
Controverse autour de la réforme du grand mariage à Mitsamiouli
à Mitsamouli
Depuis près de quatre ans, la ville de Mitsamiouli connaît la crise la plus grave et la plus longue de son histoire. Cette crise résulte de la réforme du grand mariage et de la guerre acharnée que se livrent partisans et opposants du Katiba .
Ville en déclin et en déclassement, Mitsamiouli n'a pas su s'acclimater aux profondes mutations sociétales, culturelles, politiques et administratives des Comores post -indépendantes.
Son horloge paraît bloqué. Mitsamiouli vit encore sous les heures glorieuses de l'autonomie interne et du règne d'Ahmed Abdallah.
La démocratisation de l'enseignement, accompagnée de la formation des cadres et des élites politiques et administratives dans les régions et villages environnants lui ont ôté sa suprématie, son arrogance et sa suffisance.
Ancienne sous- préfecture sous l'autonomie interne, érigée en Préfecture régionale, cette ville a perdu son aura et sa superbe et se retrouve réduite en une simple commune et chef lieu de canton.
Mitsamiouli manque de leadership politique, de notables enturbannés de stature nationale incontestable, de cadres administratifs à très grande valeur ajoutée indéniable, de réseaux intellectuels, culturels et sociaux dynamiques pour peser dans les arènes de la vie publique, traditionnelle , culturelle et religieuse de notre pays.
Cette ville manque cruellement d'imagination, d'audace et de dynamisme. Elle se recroqueville, se regarde de façon narcissique dans une glace floutée et se croit encore dans les années soixante.
Pourtant les " Pour le moment" (dénomination péjorative collée à l'élite et aux évolués) presque septuagénaires aujourd’hui l'avaient hissée au cours des années 70 au sommet des villes comoriennes les plus évoluées, dynamiques et entreprenantes. Ils assistent impuissamment à sa dégringolade et participent même à la guerre des clans qui la minent.
Cette génération inventive des années 60 et 70 avait su rassembler une grande partie de la jeunesse dans la fédération des associations des jeunes de Mitsamiouli, la FAJM.
Elle avait bousculé les mentalités et traditions en dotant sa jeunesse d'un lieu de sociabilité que fut le Foyer de la FAJM. Un espace culturel mixte, où jeunes et moins jeunes, toutes catégories socio- professionnelles confondues avaient leur place.
Une mini révolution culturelle, car des Kilabus, il y en eut à Moroni et à Mitsamiouli dans les années 60. Mais ce genre d'espace culturel fut inédit et sans égal pour l'époque.
Cette même génération incarnait la nouveauté en politique et figurait parmi l'élite dirigeante des formations politiques en gestation, que ce soit au sein du parti dominant " les Verts », l'Unité ou Udzima plus tard pour certains ou dans l'opposition " Blancs " RDPC, Mranda, Pasoco et le Molinaco.
Elle avait toujours sa place dans les gouvernements successifs et les postes de direction des grandes administrations depuis l'autonomie interne jusqu'au début des années 90 .
C'était l'époque faste où Mitsamiouli brillait et se distinguait dans le domaine de la musique, de la chanson, du sport, du théâtre et de la culture en général. Une époque révolue et lointaine, que les quinqua et quadra n'ont pas réussi à perpétuer ni renouveler.
La tentative avortée de la création de l'ADCS illustre le cuisant échec des générations suivantes et explique partiellement le retour aux querelles intestines d'antan opposant les quartiers.
La faillite morale et intellectuelle des " 'élites " de cette ville constitue une des causes majeures de cette crise. Dans ce désert (la ville s'endort, s'encroûte et végète dans le délabrement) prospèrent les nouveaux parvenus à la sommité du Yanda na Mila.
Aujourd’hui Mitsamiouli honore et vénère " Wafaumé wa mdji", seuls habilités à penser et à décider de l'avenir et du développement de cette ville.
L'intelligence, la créativité, l'inventivité, les compétences, le dévouement et le désintéressement sont relégués au rang des accessoires. Cette ville se fait peur et craint la modernité.
Elle est devenue la gardienne des traditions, des shémas de pensées et d'organisation traditionnels, une ville conservatrice et un peu ringarde.
La guerre du " califat" entendez de leadership engagée depuis l'année 2000 illustre l'emprise de cette vague néo - conservatrice et rétrograde. Les prétendants au "trône" sont légions. Mais aucun ne se distingue et ne parvient à s'imposer dans son fief (le quartier) pour pouvoir étendre sa suprématie dans l'ensemble de la ville.
Est ce un hasard, si Mitsamiouli demeure l'unique ville de grande importance par sa taille démographique à ne pas se doter de structure communale, moderne et démocratique?
Les subdvisions classiques et traditionnelles de la ville en trois quartiers semblent satisfaire à certains notables qui oublient que nous sommes de plain pied au XXI ème siècle et que la sociologie, la démographie et les structures socio-économiques du village d'antan ont radicalement changé.
Mitsamiouli n'est plus ce qu'elle était. Ce petit village côtier aux trois quartiers faussement clivés sociologiquement. Les enfants du cultivateur, du pêcheur sont devenus des médecins, des enseignants, des cadres, des érudits religieux, preuve tangible de l'évolution opérée ces dernières années.
Malgré cela, on entend encore dire que le " quartier des seigneurs " semble revenir, selon certains nostalgiques d'un temps révolu, à celui du centre ville, Miréréni , où se trouvent concentrés le vieillissant bureau de poste, la préfecture en ruine, la mosquée du Vendredi, le marché et ce " Badamier, » Mhandadjou" , superbe lieu de rassemblement de toute une ville.
"Ces seigneurs " des temps modernes veulent renvoyer les pêcheurs du quartier Djao au temps anciens, les enfermer dans les Iko, à l'entrée sud de la ville et leur interdire l'accès dans le " Saint des Saints ". Autrement dit " retournez vers l'activité de la pêche et ne vous mêlez pas des affaires de la cité".
Quant aux Bouma du quartier Mtsongolé jadis des "bouviers" Mafunga Mbuzi na Mbé" "la race des seigneurs " les somme de rester à leur juste place, confinés dans les quartiers nord de la ville. La gestion des affaires politiques et administratives est trop sérieuse pour les confier à des gens aussi peu évolués.
Seuls Wowana Miréré (premier médecin, premier président, des intellos....) possèderaient et réuniraient les capacités pour "gouverner" cette ville.
Qui peut croire en de telles abbérations qui frisent la bassesse intellectuelle et la pauvreté du débat nécessaire et indispensable? Des inepties véhiculées et partagées car non dénoncées par nos élites.
Mais la belle unanimité de façade affichée dans chacun des quartiers dissimule fort mal les rudes batailles internes opposant des clans familiaux prétendant tous à la prééminence et au statut de principal chef de......
Au nom de leurs aieux, ils vocifèrent et déclarent à qui veut les entendre que leurs arrières grands parents, oncles, frères, soeurs et tantes ont accompli leur " Yanda na Mila " dans la totalité et réclament obéissance et résignation. Là réside le noeud du grand mal qui ronge Mitsamiouli.
De mémoire de nos anciens, Mitsamiouli n'a jamais été aussi déchirée, réduite en lambeaux et si ridicule qu'elle ne l'est aujourd’hui, même du temps du " Yamini né Shimali ou des Blancs et des Verts".
Cette réforme du mariage ( Katiba ou Antikatiba) initiée et prônée dans les années 60 par le Dr Said Mohamed Cheick , aurait pu recueillir l'adhésion de l'immense majorité de la population et inscrire ainsi notre localité dans l'histoire des régions les plus modernes et les plus réformatrices du pays.
Elle aurait pu compléter celle des années 60 et 90 si elle était pensée, réfléchie et conduite de façon intelligente, transparente et démocratique. Ses promoteurs ont oublié qu'il s'agissait d'une réforme, non d'une révolution ou d'un putsch qu'une minorité impose par ukase à l'immense majorité.
Au lieu de convaincre, d'user de la persuasion et de la pédagogie, donner du temps au temps, les signataires et représentants de Mtsongolé Djadid, Amin Djadid, Djadid El Watoini et Amini Vert ont décidé de mettre en oeuvre le Katiba à compter du 11 septembre 2005. A prendre ou à laisser...
Au lieu de rassembler, la réforme a produit un effet dévastateur en ravivant les divisions et les haines. Un gâchis énorme.
Quelles en sont les causes? et pour quelles conséquences? telles sont les interrogations qui méritent d'être soulevées, débattues et auxquelles nous devons collectivement apporter des réponses.
Préalablement à l'examen de ces questions, il paraît essentiel de revisiter la chronologie des événements qui ont marqué (1) l'histoire de la réforme du mariage traditionnel à Mitsamiouli au cours de ces quarante dernières années et celle qui fait (2) débat aujourdh'ui, la dénommée "Katiba".
I) La réforme du Grand mariage à Mitsamiouli des années 60 à ce jour.
Vers la première moitié de la décennie 60, Said Mohamed Cheick, président du conseil du gouvernement des Comores, souhaitait apporter une dose de modernisme et lutter contre les dépenses ostentatoires occasionnées par le Yanda na Mila.
Une démarche réformatrice inédite et de grande envergure qui exigeait beaucoup de persuasion, de doigté et de pragmatisme. Car, réformer le grand mariage semblait une cause perdue. C'était attenter aux privilèges et aux soubassements de la société grand comorienne fondée sur la soumission des règles établies selon les hiérarchies sociales du Yanda na Mila.
C'était écorner le pouvoir écrasant des enturbannés qui occupent les premiers rangs dans les Bangwé, les mosquées et tous les hauts lieux de sociabilité.
C'était aussi une façon d'introduire une dose de démocratie permettant aux plus humbles de se frayer une place dans une société très clivée et complexe où Yémnamdji n'a pas droit à l'expression publique et ne peut en aucun cas participer aux prises des décisions qui engagent la communauté entière.
Mais c'était aussi et surtout une lutte à caractère économique. La réduction des dépenses devrait selon le promoteur de cette initiative, permettre aux paysans, artisans, pêcheurs, de consacrer les revenus tirés de la récolte de la vanille, de la pêche et du fruit de leur besogne à l'éducation de leur progéniture et à l'amélioration de l'habitat.
Le président SMC, enfant du pays, connaissait les pesanteurs et les résistances de la notabilité grand comorienne, son électorat traditionnel et fidèle.
Raison pour laquelle, il choisit l'expérimentation de cette réforme dans sa localité. Aussitôt lancée, l'idée de réformer le mariage traditionnel recueillit l'adhésion enthousiaste de la jeunesse qui composa la célèbre chanson " Mitsamiouli riwafiki" interprétée par l'orchestre "Amini Zamani".
On comprend la profondeur du message qu'entendait faire passer le président Mohamed Cheikh en relisant et réécoutant les paroles de cette chanson engagée. Une belle et originale opération de communication.
"Sirili amini, wusafihi wapessa karina wufanya tsena, yé yada yahatru, riwundé madjumba namatomobili yaho wanatru".
Tout un programme, un projet sociétal encore d'actualité et qui mérite d'être remis en chantier.
Mitsamiouli s'est empressée de mettre en oeuvre cet ambitieux projet et non sans résistance. L'abatage des boeufs ( Mbé Zakaramu), Yéné, Upvéha Zindru, Meza et tant d'autres ont été interdits et abandonnés. Mais le décès prématuré du président du conseil a laissé ce chantier inabouti.
Vingt années plus tard, suite aux enchères du grand mariage où les millions coulaient à flots, les bijoux et pièces d'or en grande quantité, le débat ressurgit. Un accord fut trouvé entre les principales structures qui composent Yémidji ya yada, introduisant la seconde réforme du grand mariage, sorte d'An II, du Yanda na Mila.
Les dispositions de cette seconde réforme portaient essentiellement sur la restriction et la limitation du " Djelewo" qui passe de plus de 7 à 8 millions de FC à 4 millions, l'interdiction et le bannissement formel des sachets remplis de biscuits , gâteaux et boissons diverses lors de la grande cérémonie relieugiso - traditionnelle du Madjlis , du hishima yahé toirabou du samedi au grand bonheur de tout le monde et de l'encadrement et la limitation des convives au festin du grand dîner ( 350 couverts au lieu des 700 habituels).
Ces réformes, certes limitées et imparfaites, mal appliquées et souvent détournées, avaient obtenu l'assentiment de l'immense majorité de la population jusqu'à la récente réforme controversée du " Katiba".
2) Le " Katiba" Débats et controverses autour d'une réforme.
De quoi s'git-il? qui sont les acteurs et protagonistes de cette réforme qui sème la haine, les rancoeurs et les divisions? Pour qui est il destiné et pour quels motifs? Comment fut il pensé et conçu? Quelles furent les procédures de son adoption et quelle adhésion a t-elle recueillie auprès des femmes et des hommes concernés par ce projet sociétal?
Les réponses à ces interrogations devraient naturellement déboucher sur des conclusions claires et précises de sortie de crise, préconisant une solution pérenne: la réconciliation et l'avenir de Mitsamiouli
Pour permettre à tout un chacun de s'approprier les fondements de cette réforme controversée, de l'analyser et se faire son opinion, une présentation condensée du document s'impose.
Le "Katiba" est un document de trois pages intitulé " Réformes pour les funérailles et le grand mariage à Mitsamiouli".
Il est paraphé en 2005 par les représentants des "Midji Ya anda" suivants:
Hamdi MOHAMED ( Mtsongolé Djadid), Mohamed CADI ( Amini Djadid), Youssouf SALIM ( Djadid El Watoini) et Djawabou ( Amini Vert).
Aucune date ni exposé des motifs n'apparaissent dans ce document.. Juste un catalogue des mesures et des dispositions préconisés qui s'articulent autour de ces principaux points:
Mwafaka: les fiançailles doivent rester entre les deux familles. Pas de festin pour la circonstance ni des bijoux.
Mdhoihirisho: Kapvatsi mdhoihirisho , autrement dit , c'est interdit. Les jeunes peuvent se marier, payer la dot, s'installer jusqu'au jour où ils réuniront les conditions de faire le grand mariage.
Madjilissi: 30 pawounis, Pambo 300 000 fc, Ziguéléguélé 100 000fc. Kapvatsi Vao, autrement dit, il est strictement interdit d'envoyer des tenues vestimentaires ( costumes, Nkandou, chaussures etc...)
La préparation du Halouwa doit rester entre les familles et les voisins.
Djéléwo: 4 millions dont 60% au profit du "Mdji" du marié et 40% destinés aux Ziléwo, Mahoho et le ou les foyers.
Hirimou na mbé ya wufoma mdji ne sont pas inclus dans ces quatre millions de francs.
Mlazo mwana: 60 convives parmi wowana mdji.
Vao: 1 djoho ou draguila , 3 bouchtis, 5 costumes et les autres articles sont limités à 7. Nkaroi ya mdji ( 200 000fc) Fatiha ( 100 000fc) Wo Warwaya ( 25 000fc).
Hishima et Doumbousso: Kazitsi ( bannis)
Utradahoni : La préparration du " gâteau" Mkatré devrait se faire au sein de la famille et des proches. Yé Ndola ( les dépenses globales du côté de l'époux) est plafonné à un maximum de 7 millions de fc. Yékesso (100 000fc) Izimataya ( 100 000fc). Yé dhahabou n'est pas limité mais 70 pawounis sont préconisés.Nkarwa yahé dhahabou ( 200 000fc) et Nkaroi yawadrwaoumé ( 200 000fc).
Mdroho wahé Mwana: Kapvatsi tshayi ( le copieux petit déjeuner est interdit), la famille du marié estt autorisée à donner 100 000fc et celle de l'épouse 50 000fc.
Ukoumbi: L'imposante cérémonie des femmes ( Oukoumbi) se fera une fois. Kapvatsi mdrowoho wapvili. L'accoutrement lors de cette cérémonie doit respecter les us et coutumes.
Ce document conclut " les pratiques ou procédures non mentionnées dans cette réforme sont interdites. Les personnes issues des groupes traditionnels signataires de cette réforme qui ne respectent pas ces mesures seront sévèrement sanctionnées. Une commission sera proposée pour assurer la mise en application et le bon fonctionnement de cette réforme. Il précise que la réforme prend effet à compter du 11 septembre 2005".
Difficile de confronter cette réforme avec le projet de ces détracteurs, partisans du statu quo. Ces derniers ne disposent d'aucun document écrit. Mais leurs pratiques et usages démontrent qu'ils sont farouchement attachés au " Dîner", aux sachets lors du" Madjliss", à la non limitation de "la garde robe" "Vao" de l'époux et largement favorables aux dépenses inconsidérées.
"Yada Truru, na Hassara". Ceux qui les regardent de haut, les traitent de "Wadjinga" alors qu'ils sont des véritables partisans de l'orthodoxie du Yanda na Mila.
Où se situent donc les principaux points de divergences à l'origine de ce clivage et de cette querelle qui empoisonnent la vie de toute une communauté?
Certains font accroire que la réforme est essentiellement portée et soutenue par les structures traditionnelles des Midji Ya Anda du quartier Miréréni, symboles de la novation et de la modernité.
Un sentiment que ces dernières ont fort bien entretenu et conforté. Mais la réalité est tout autre. L'état des forces en présence démontre que les choses sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît.
Le camp du" Katiba" constitue un conglomérat hétéroclite de femmes et d'hommes des quartiers " Miréréni" et "Mtsongolé" soutenus par une infime minorité du quartier "Djao".
De surcroît, la querelle dépasse les clivages politiques. On y trouvait à l'origine, des proches de l'ancien président Azali, des partisans d'Elbak et du Dr Mtara Maésha dans le camp des " réformateurs"(1).
Ce clivage que l'on pourrait caractériser de "transquartiers " et d'apolitique se révèle plus complexe. Les quartiers ne sont pas tous logés à la même enseigne. L'immense majorité du quartier Miréréni est favorable au "Katiba" alors que les ressortissants du quartier Djao semblent plutôt hostiles.
Toutefois dans ces quartiers, les scissions et les divisions sont moins marquées et affectent peu les familles.
En revanche, dans le quartier Mtsongolé, les débats font rage et les affrontements beaucoup plus tendus et aiguisés.
Est ce le signe d'une vitalité démocratique ou l'absence de chefs charismatiques capables d'entraîner tout un quartier ?
A l'évidence, les têtes bien pensantes de chaque quartier qui auraient pu alimenter et nourrir le débat, l'orienter et influer sur les principales réformes ont préféré prendre le parti de leurs parents, oncles et beaux frères . Ils renient ainsi leurs principes et leurs convictions de peur de se brouiller avec leurs proches.
En ne prenant pas clairement position sur ce sujet crucial, les cadres de cette ville endossent une immense part de responsabilité.
Et pourtant, il appartient à chacun de se prononcer sur le sujet sur la base du document écrit. Il s'agit, d'un côté comme de l'autre, d'oser regarder de façon sereine et responsable les points de convergences sur lesquels "Katiba et Antikatiba" peuvent se retrouver et d'identifier les divergences fondamentales qui les séparent.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que les principales clauses prévues par la réforme sont piétinées à chaque événement, excepté la suppression du " dîner".
On entend souvent dire que " Pvona mdru, namdru". Il est vrai que les partisans du " katiba" ne sont pas tous" égaux " devant cette réforme : "écoutez et exécutez ce que je prône, mais ne regardez pas ce que je fais". Voilà en substance l'argument développé par les leaders de la réforme lorsqu'ils organisent les mariages de leurs plus proches.
Selon que vous êtes, humbles, de bonnes familles, hauts dignitaires et proches du pouvoir en place, la lecture et l'interprétation des clauses du "Katiba" semblent différentes.
Aux plus humbles partisans de la réforme, les responsables se montrent exigeants et intransigeants pendant que l'on n'ose lever le petit doigt pour admonester les familles les plus en vue qui transgressent les règles, au vu et au su de tout le monde.
Les entorses sont nombreuses et alimentent le discrédit de cette réforme.
Il suffit de revenir sur les Midhoihirisho, Posso, Madjliss et Mdjodahoni de ces derniers mois pour se rendre à l'évidence qu'il y a eu " duperie et manipulation " par les deux parties en présence.
Duperie car les partisans du " Katiba" n'ont jamais précisé ni motivé aussi clairement le bien fondé de cette réforme. Aucune raison économique et financière n'est étonnamment mise en exergue dans l'argumentaire des partisans de ladite réforme.
Aucune opération de communication et de pédagogie n'est employée à destination des familles modestes pour les inciter à une prise de conscience collective et les inviter à investir sur l'éducation des enfants, la santé ou des projets d’avenir.
Trois années après la mise oeuvre de cette réforme, les économies induites et les progrès enregistrés sur le plan économique et social paraissent maigres.
Au contraire, les dépenses ont explosé et de nouvelles formules apparaissent( Posso, Mbayinicho etc...) nécessitant encore davantage d'argents .
La mascarade du "Djelewo"(publiquement annoncé à quatre millions) atteint près de 6 millions si on inclut les dépenses transférées sur une " autre ligne budgétaire" pour reprendre un terme technique, autrement dit " autres dépenses de type "XXXXX" reportées au dimanche suivant le Djelewo.
Les modernistes et farouches partisans de la réforme n'ont pas pensé à un prélèvement forfaitaire en faveur de véritables projets de développements de la ville.
Certes, " Lé Sandoukou la Mdji", les Foyers, les Mosquées et Zawiya continuent à bénéficier des ristournes du Djéléwo, à hauteur des quelques centaines de milliers de francs comoriens.
Mais cette pratique date depuis plusieurs années et ne revêt aucune originalité. Elle a révélé son inefficacité et ses limites. D'autant plus que les deux camps en conflit y semblent favorables et très attachés et l'appliquent.
Il aurait été plus original voire même plus révolutionnaire si " les modernistes et partisans" du Katiba décidaient de consacrer un pourcentage fort conséquent des 4 millions du djéléwo dans des projets de réhabilitation de nos écoles en ruine, de l'hôpital etc...que de se partager cette rente viagère que les plus humbles des enturbannés dénomment à tort ou à raison leur " retraite ou pension".
Force est de reconnaître qu'il serait difficile de les priver de cette rente qui nourrit les espoirs des laissés pour compte de cette société et dont le seul revenu substantiel et conséquent provient du Yanda na Mila pendant la période estivale.
Au niveau du " Vao" la garde robe de l'époux, les quelques articles présentés publiquement dissimulent fort mal ce que les familles mettent dans les valises bien rembourrées et discrètement destinées à la famille du marié.
Les notables fraichement mariés, version Katiba, disposent tous de leur tenue d'apparat (Draguila , Djouba Ndjewou et Djouba Ndzidou) pourtant limitée à un seul par le "Katiba" pour cette tenue vestimentaire.
Loin du modernisme tant vanté, les réformateurs usent les vieilles recettes du passé lorsqu'il s'agit de sanctionner leurs partisans (les plus humbles bien sur) qui enfreignent les règles du Katiba.
Ils préconisent le bannissement ( Wulapwamdji), cette ultime et sévère sanction qui remonte à la nuit des temps. Une pratique injuste, inéfficace et antidémocratique qui révèle le caractère moyennâgeux et rétrograde de cette réforme.
Pire, certains rassemblements festifs comme le Madjlis, Twarab, dîner et autres sont désertés par les partisans du camp adverse au prétexte que l'on est Katiba ou Antikatiba.
Les représentations extérieures de la notabilté Mitsamioulienne sont régies selon l'appartenance à un des camps en présence et au mieux par deux délégations distinctes. Le ridicule ne tue pas dit l'adage.
Dans le camp des orthodoxes ou des "Antikatiba" le mélange des genres est de mise se trouvent coalisés des intérêts divergents, rassemblant la quasi totalité des familles du quartier "Djao" et l'autre moitié de la population du quartier " Mtsongolé".
Y aurait - il là une coalition d'opposition à l'arrogance supposée ou réelle du quartier des seigneurs? ou une volonté d'émancipation de ceux qui se croient ou se sentent à tort ou à raison méprisés?
A y regarder de près, la querelle dépasse ce clivage et s'inscrit dans un tout autre registre: la lutte pour le leadership de la ville de Mitsamiouli.
Nos traditionnalistes pratiquent la politique de la terre brûlée et conduisent inexorablement des familles entières, pauvres et moyennes dans des dépenses ostentatoires et les livrent à des situations inédites.
On assiste depuis quelques années à cette nouvelle forme de "Yanda Yandrabo" où des millions de nos francs sont annoncés publiquement et mis dans des "enveloppes vides ".
Ces mariages engendrent des drames dans les familles étranglées par les emprunts auprès de particuliers ou des MECK qui les somment le lendemain de rembourser. Dans cette course à la folie et à la mégalomanie , des familles entières laissent des plumes et se trouvent ruinées et humiliées.
N'est - on pas en droit de nous interroger sur la reconnaissance et la validité du ticket d'entrée dans le "saint des saints " de ces notables et "Wafaoumé wamdji" qui ont usé de cette tromperie? Dans la tradition, on devenait " Mfawoumé Wamdji" souvent très tardivement pour recevoir les insignes de l'honorariat, du prestige et du respect
Le port du "Mharouma, du djouba et Draguila" sont les signes distinctifs et de reconnaissance du notable.
Aujourd’hui le discrédit, la suspicion et le déshonneur (beaucoup sont la risée de tout le monde) entachent certains mariages. La conséquence de cette folie qui atteint nos concitoyens.
A trop vouloir l'égalité et imposer à tout le monde "la formule unique du mariage", on a produit cette dérive condamnable.
Quoi que l'on soit , pauvres ou riches, instruits ou ignorants, l'accession à la notabilité passe par cette phase qui n'est pas réformable. C'est le crédo des orthodoxes du mariage qui refusent obstinément que certains déterminent à leur place ce qu'ils doivent faire en la matière, de peur que les mêmes viennent le surlendemain sous le badamier leur reprocher d'être des " sous notable".
Autrement dit, certains parmi les Antikatiba considèrent la réforme comme " la grande braderie" estivale et préfèrent s'embourber dans la galère des frais surdimensionnés quitte à opter pour le mensonge hélas.
Argument facile mais somme toute proche de la réalité. Le propre du grand mariage, ce qui fait sa force et puise son fondement dans la société demeure l'honneur ,(Ufahari et Shéwo) le paraître et m'as tu vu ( Pwaphwa). C'est cette capacité de Pouvoir le moment venu affirmer haut et fort ce que les aieux de la famille ont accompli et étaler "les armes de guerre" sur la place publique ' Bangweni).
Tout ceci doit nous conduire à stopper cette surenchère, cette bataille de leadership, des egos surdimensionnés qui rendent cette réforme ingurgitable et exacerbent les haines.
Les esprits doivent se calmer. Et comme personne ne veut perdre la face dans cette histoire, il revient à ceux qui sont distanciés de ces querelles de se placer au dessus de la mêlée et d'imposer une médiation devenue indispensable, sans laquelle il n'y a pas de sortie de crise.
Ce rôle doit incomber à des femmes et des hommes de bon sens, animés de l'unique ambition de rassembler Mitsamiouli et de déployer toutes les énergies dans une volonté commune et partagée: le réveil et le retour de Mitsamiouli dans le concert de la nation.
Un défi surmontable, à notre portée, si nous nous donnons les moyens de l'affronter.
Bakari MOHAMED
15 Octobre 2009
Mayotte: une affaire de génération et d'éducation
Mayotte : une affaire de génération et d’éducation.
Comment l’expliquer à ma fille ? (2)
Ma mémoire me dit – on est partiale et partielle. Je ne suis pas assez décoré et ne porte pas les insignes des anciens combattants du militantisme et du patriotisme en vogue de nos jours.
Je n’appartiens à aucune caste. Je ne fréquente plus depuis des lustres les rassemblements et les manifestations dénonçant la politique » infâme », « génocidaire » le mot est souvent employé, de la France coloniale, impérialiste et responsable des maux qui assaillent le pays de ta grand-mère.
Je le reconnais volontiers. Je ne détiens pas la vérité historique. Je ne te fais pas un cours d’histoire ni de droit international que les érudits, professeurs à l’université des Comores, chercheurs es qualités seraient seuls en mesure de te le dispenser. Des livres et des articles, ils en écrivent dans les blogs, la presse et les forums de discussions. Tu auras le loisir de les découvrir, de les décortiquer et de les analyser pour te forger ton opinion plus tard.
Mais sais tu, que pour une catégorie de maorais, je suis un « savant mélange des blacks panthères et de Gandhi qui t’incite à la haine et dois être banni de la société » (sic). L’indulgence n’est pas de leur côté.
Pour d’autres, j’omets sournoisement d’exposer mes visées nationalistes et ma nostalgie pour » une unité comorienne impossible et irréaliste ». Je serai un donneur de leçons d’histoire aux maorais qui n’en ont pas besoin. Ils sont des bons connaisseurs en la matière. Dont acte.
« Bien au chaud dans notre 93 (département de la Seine Saint - Denis), passeport tricolore en main, nous reproche t –on, j’aurai traité les Maorais de « Gaulois atteints par le syndrome de la Jackson mania » (sic).
Je n’ai aucunement employé ce qualificatif, trop péjoratif à mon sens bien que certains de mes concitoyens l’utilisent. Mais, je t’avoue qu’il fut un temps pas si lointain, l’école républicaine de Jules FERRY, aux accents qui sentaient fort bien le bon vieux temps des colonies, nous apprenait que « nos ancêtres étaient des gaulois et vivaient dans des cavernes… » . Mais tu l’as compris ma fille, comme ta petite cousine de Mayotte également, vos aïeux viennent du continent africain, de l’île rouge de Madagascar, de Shiraz, du Yémen, d’Europe et d’ailleurs…. c’est ce cosmopolitisme qui singularise notre archipel et qui nous rends fiers.
Comprends tu, ma fille, la raison pour laquelle j’éprouve l’envie et persiste à te raconter modestement cette petite histoire, au regard de mon expérience et de mon vécu?
Mes contemporains écrivent l’histoire à leur guise. Du côté de Mitsamiouli où je suis né, de Domoni à Fomboni, en passant par M’tsapéré, les positions se raidissent, s’exacerbent et accentuent l’incompréhension mutuelle née depuis cette mémorable journée du 6 juillet 1975, date de l’indépendance des Comores.
Et pourtant ! Trente quatre années se sont écoulées, depuis. Du côté de Moroni, quatre coups d’état ont été perpétrés et moult régimes se sont succédé. Ali Soilhi a déposé Ahmed Abdallah le 3 août 1975, à peine un mois après la déclaration unilatérale de l’indépendance des Comores. C’est l’Acte « UN » du séparatisme dénoncé avec fracas aujourd’hui que la mémoire collective oublie, car il ébranle et met terriblement en cause la mythologie du héros et révolutionnaire, leader d’une époque très singulière de notre histoire nationale.
« Les putschistes » rassemblés autour du Front national uni (FNU) dont le chef de fil était le tribun et tonitruant Ali Soilihi Mtsachiwa du parti « UMMA » croyaient bien servir les intérêts des Comoriens en se débarrassant ce jour là d’Ahmed Abdallah, président affairiste, représentant de la bourgeoisie féodalo- compradore, comme nous aimions l’appeler en ce temps là.
Un gage qu’ils voulaient donner au président Valéry Giscard d’Estaing et à leurs amis maorais, Marcel HENRY, Adrien Giraud et Younoussa Bamana. Par ce geste, les auteurs de ce pronunciamiento voulaient recoller les morceaux et ramener ces leaders politiques à la raison en acceptant d’intégrer le Front national uni pour élaborer ensemble les institutions démocratiques du jeune Etat comorien.
La « marche rose » du 21 novembre 1975 s’est soldée par un fiasco total pour ne pas dire une humiliation. Cette opération n’était que de la poudre aux yeux que l’on caractériserait aujourd’hui de coup de pub ou de communication. Conduite par Ali Soilihi et quelques jeunes Mapindunzi à bord du coucou d’Air Comores, compagnie aérienne dont le propriétaire Yves LEBRET deviendra plus tard l’ambassadeur du régime soilihiste, les « marcheurs » voulaient affirmer l’appartenance de l’île de Mayotte à l’ensemble comorien.
Ils ont rebroussé chemin, de peur de se faire lyncher par les »SORODA » rappelés et mobilisés d’urgence par les leaders du Mouvement populaire Maorais (MPM). Les barricades érigées et l’affluence nombreuse de manifestants brandissant des banderoles francophiles ont repoussé cette attaque qui n’en fut pas une. Ils ont donné raison aux maorais, qui à leur tour, ont lancé un défi à la France en lui témoignant leur détermination et leur ferme volonté d’être « français pour être libres ». A chacun son slogan, ma fille.
De cet épisode peu glorieux, ma fille, les comoriens n’ont retenu que l’expression « TAYARI YA HWENDA MAORE » traduction littérale, prêts à aller à Mayotte, entendez à libérer l’île comorienne de Mayotte. Un slogan très vite tombé aux oubliettes. Les souffrances et les privations endurées pendant le règne de la pseudo- révolution Soilihiste ont relégué le patriotisme au dernier rang des préoccupations des populations des îles.
Le bain de sang qui a coulé à Mbéni et à Anjouan pendant le débarquement annonçait les prémisses d’un régime fascisant. Il renforçait et légitimait les arguments développés par les leaders du MPM qui craignaient la « dictature des anjouanais et des grands comoriens », abondamment répandus dans la presse de l’Action Française, principal groupe de pression de la cause maoraise à Paris.
Et pourtant, sur le plan diplomatique, l’offensive lancée par le jeune Etat auprès des instances internationales a remporté des succès indéniables. Idi Amin Dada, président en exercice de l’Ouganda, l’ogre de triste renommée, le colonel Mouamar Khadafi, chef de la Jamahiriya lybienne et la « République populaire de Chine (la grande RPC) du grand timonier Mao ZE Dong que nous vénérions, ont été parmi les premiers Etats à reconnaitre l’indépendance des Comores.
Le sacre intervient le 12 novembre 1975, date de l’admission des Comores à l’ONU. Le jeune Etat comorien est reconnu dans ses frontières naturelles, à savoir Anjouan, Mohéli, Mayotte et la Grande Comore.
Depuis, les grandes instances internationales, l’union africaine, la conférence des pays non alignés, la ligue arabe, l’organisation de la conférence islamique délibèrent et votent des résolutions favorables à l’unité des Comores et à sa souveraineté nationale.
Baptisé « Etat comorien » à sa naissance, il est devenu « République fédérale islamique des Comores » puis Union des Comores. L’instabilité chronique marquée essentiellement par les coups d’états et les querelles politiques interminables d’une classe politique immature et changeante explique cet état de fait.
Mais peu importe, argumentent tes tontons de l’autre rive. L’intégrité territoriale des Comores est une affaire nationale qui doit emporter l’adhésion totale de tout un pays et de tout un peuple. Les actes des gouvernants ont-ils toujours été conformes aux discours, me demandes tu assez souvent?
Hélas, non. Les militants les plus acharnés et irréductiblement attachés à la réintégration de Mayotte dans le giron comorien reprochent à tous les gouvernements successifs d’avoir lâché et abandonné cette cause « au nom de la Réalpolitik ». Intox, propagande ou dure réalité ? Les historiens nous le confirmeront dans les années futures car trop tôt pour en tirer des conclusions hâtives.
Quand je te parlais ma fille, de complexité de ce « contentieux ou différend franco- comorien » il faut croire que c’est plus compliqué qu’il n’y parait. Les arguments historiques, juridiques et politiques fourbis et étayés par les deux parties semblent inaudibles et ne les font pas fléchir.
Chaque partie campe dans ses positions. L’Union des Comores soulève légitimement le droit international et les principes généraux appliqués jusque là par la communauté internationale en matière de décolonisation et d’autodétermination des peuples.
Pendant que les frères Maorais demandent obstinément aux autorités politiques comoriennes de respecter le choix exprimé à maintes reprises lors des référendums de demeurer dans la République française.
Mais rassures, toi. J’ai connu un temps où les discours étaient beaucoup plus virulents. Marcel Henry, Younoussa Bamana et Adrien Giraud, leaders historiques du MPM étaient considérés comme des anti -nationaux, des traîtres et des valets au service de l’impérialisme. Mais Ahmed Abdallah et Ali Soilihi n’échappaient pas à cette logorrhée révolutionnaire.
Les mêmes qui déversaient ce venin, jetaient les anathèmes et l’opprobre sur leurs opposants politiques atténuent leurs discours aujourd’hui. La curée anti Bamana et Marcel a disparu du vocabulaire et de la phraséologie des « rattachistes »depuis la décennie 90. Les attaques les plus virulentes et les plus violentes visent frontalement aujourd’hui la France.
Rassemblés autour du Comité Maoré et d’une kyrielle d’associations, les défenseurs de l’intégrité territoriale ont pour cible d’attaque, la France, accusée de déstabiliser les Comores. Elle serait responsable des coups d’états permanents qui ont marqué la vie politique comorienne et des assassinats des présidents Ali Soilihi et Ahmed Abdallah.
La France commet « un génocide » selon les partisans de la réintégration de Mayotte en refusant d’abroger le décret instaurant le visa « Balladur » responsable des milliers de morts qui gisent dans les eaux séparant Anjouan des côtes maoraises.
Ironie de l’histoire, les acteurs politiques maorais actuels semblent moins attaqués par les défenseurs de l’intégrité territoriale. La nouvelle variante du discours « rattachiste » s’articule autour de nouvelles problématiques.
Signe d’apaisement, prise de conscience tardive ou évolution des mentalités politiques? C’est la question qui me taraude, que l’on peut se poser et qui mérite d’être débattue des deux côtés de la rive.
La vision manichéenne du siècle précédent doit céder le pas. Il est fini, le temps où la cause maoraise affichait le sentimentalisme francophile pour convaincre les français de l’Hexagone de leur attachement et de leur fidélité séculaires à la France Eternelle. Ce combat mené de main de maître par le MPM au siècle dernier a atteint son objectif le 29 mars 2009.
Les résultats du referendum du 29 mars 2009 attestent et confirment la volonté des maorais à poursuivre encore leur chemin avec la France, dans un statut qu’ils croient figé et coulé dans le marbre. Pour combien de temps et dans quelles conditions ce statut départemental durera t-il ? Quelles seront ses implications concrètes dans les fondements des valeurs morales, religieuses, sociétales et du développement économique et social de cette île ? Quelles seront les élites politiques et administratives de demain et quelles revendications porteront t - elles? Nul ne le sait à ce jour et ne saura donner des réponses définitives à ces interrogations.
A l’évidence, du côté de Moroni, l’acceptation de l’ancrage définitif de Mayotte dans la République française, en devenant en 2011 le 101 ème département paraît inacceptable. Il signifierait une trahison nationale qu’aucun comorien ne pardonnerait.
Les comoriens ont besoin d’un talisman. Ils s’accrochent à cette revendication, la seule et unique qui vaille, dans un pays profondément traumatisé, meurtri et appauvri. Pour oublier nos désillusions, nos rêves brisés d’une décolonisation chaotique, inaboutie et complètement ratée, car mal pensée et peu populaire, nous nous sommes trouvés un nouveau rêve : le combat pour l’unité nationale.
Une bataille qui dépasse les clivages de classes (la révolution n’est plus au goût du jour), de générations ni de sexe( on parle de genre semble t-il). Gouvernants et gouvernés, main dans la main, préconisent la politique de « l’union sacrée » autour de la revendication territoriale. Le discours officiel est tentant. Mais le peuple, cette majorité silencieuse, aspire à de meilleures conditions économiques et sociales.
Il n’est pas dupe et mesure les maigres résultats obtenus. Aucune avancée significative n’est enregistrée par la diplomatie comorienne trente quatre ans après l’admission des Comores à l’ONU. Les soutiens diplomatiques se limitent aux réaffirmations des déclarations de principes. Pire, les responsables politiques vont même jusqu’à s’accuser d’avoir retiré depuis des années l’inscription de la question maoraise à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU( coincidence troublante mais heureuse, elle est réinscrite juste pendant la campagne des législatives du 6 décembre 2009) .
Seuls les bénéficiaires des largesses des régimes des années post-indépendance semblent se satisfaire de cette posture et entendent la faire partager à tous les concitoyens. Eux, qui voyagent et circulent librement à Mayotte, visa Balladur apposé sans aucun souci par les autorités consulaires françaises de Moroni. Ces protégés, socialement bien intégrés dans le système, ont du patriotisme à revendre. Ne vont-ils pas jusqu’à « vendre la citoyenneté comorienne aux plus offrants » et la main d’œuvre bien fraîche, jeune, robuste, diplômée à nos coreligionnaires des pays du Golfe, peu soucieux de la valeur et des libertés humaines ?
Ceux la même qui dénoncent les forfaits de cette « France coloniale » tissent leurs réseaux et utilisent les relations d’Etat à Etat pour jeter des milliers de comoriens dans la clandestinité en France, visas courts séjours « vendus et monnayés à prix d’or ».
Pendant ce temps, les laissés pour compte de la société inégalitaire et injuste que ces « honorables faiseurs de rêve » ont enfantée s’entassent dangereusement dans des bateaux de fortune (les Kwassa) et tentent de regagner « Mayotte »le nouvel Eldorado, leur « rêve » à eux. Combien des manifestants qui brûlent de temps à autres le drapeau tricolore ont tenté au moins une fois ou eu l’idée de faire la traversée sans retour Anjouan – Mayotte ?
Qui parmi nous tous, qui avons le privilège de manger à notre faim, d’éduquer nos enfants, nous soigner et secourir les nôtres en cas de besoin, ne connait pas une femme ou un homme, jeune et moins jeune qui rêve de Mayotte à défaut de franchir les frontières de l’espace shengen ?
Le rêve de l’unité nationale inscrit sur les fonts baptismaux, aussi magnifique qu’il soit, ne soigne pas ces femmes et ces hommes dépourvus de tout système de soins et de protection sociale dignes de ce nom. Aussi populaire qu’il soit, ce rêve n’offre pas de débouchés ni d’emplois à cette cohorte de jeunes sortis du système éducatif par milliers et sans aucune perspective d’avenir.
Ce beau rêve conforte en revanche les positions des « bien établis », ces politiciens surgis de nulle part qui ont érigé la corruption, le Mkarakara, la Cour et la courtisannerie, l’assistanat, l’émigration de ses forces vives et la diplomatie de la mendicité en un système et mode de gestion des affaires de la nation.
On m’objectera avec forte conviction qu’il vaut mieux « être pauvre, libre, indépendant et souverain » que « colonisé et aliéné ». L’ode des vétérans du Pasoco renaît et retentit jusqu’aux banlieues des grandes métropoles hexagonales où une partie de notre jeunesse, en manque de repères politiques et idéologiques la recueille avec enthousiasme. Mais elle n’enchante pas les démunis. Elle séduit comme par le passé l’intelligentsia, l’élite politique et administrative peu soucieuses et bien éloignées des réalités du pays.
Est-ce une raison d’étouffer le débat et stériliser les pensées en enfermant tout le monde dans le même moule, cette pensée unique qui nous a fait tort par le passé ? Ou au contraire, ne doit t- on pas laisser d’autres voix s’exprimer pour qu’enfin s’ébauchent des voies exploratoires en vue d’une sortie de crise, certes lointaine mais inéluctable ?
Depuis une quarantaine d’années, deux visions politiques et idéologiques ont dominé le débat national sur la question maoraise. Deux écoles de pensée qui se sont violemment et durement affrontées.
Celle des « départementalistes » partisans d’un éloignement de Mayotte du reste des îles Comores et ancré dans la République française et celle de la mouvance révolutionnaire et maoisante incarnée par l’ASEC, le Pasoco et le Front démocratique plus tard, prônant l’indépendance immédiate, l’intégrité territoriale et la révolution nationale démocratique et populaire, certes renvoyée aux calendes grecques ( la RNDP).
Il est de notoriété publique que les présidents Ahmed Abdallah, sacré père de l’indépendance dans l’historiographie des Comores et Ali Soilihi, principaux artisans de la décolonisation ratée de l’archipel des Comores n’avaient aucune doctrine propre en la matière. Ils n’ont jamais été d’authentiques indépendantistes. Ils ont opportunément pris le train en marche en édulcorant la vision révolutionnaire de l’ASEC et du Pasoco, frayant ainsi la voie au séparatisme.
Ahmed Abdallah aurait voulu une « indépendance dans l’amitié et la collaboration avec la France ». Mais, acculé par son opposition incarnée par son successeur, il finit par déclarer unilatéralement l’indépendance et d’exiger le départ de la France et des troupes françaises, deux des 6 points de la plateforme du Front Patriotique Uni ( FPU) très chers aux Mao que le Mongozi a repris après son coup d’état.
De cette bataille frontale entre ces deux écoles, Marcel HENRY, feu Younoussa Bamana et Adrien Giraud ont remporté la partie en atteignant leur objectif principal : la départementalisation de Mayotte en 2011. Le fait est là. Devons nous le nier ?
C’est la quintessence du débat du XXI ème siècle. Les réponses ne tomberont pas du ciel, ni des slogans certes flatteurs et mobilisateurs, ni du simplisme des solutions bricolées ou copiées sur des modèles et références historiques incomparables. Celles que vantent les frères maorais ne sortent pas des sentiers battus. Le département n’est pas la panacée ni une fin en soi. Ce combat unanimement partagé par la classe politique de l’île dissimule fort difficilement des fractures politiques, économiques, sociales, culturelles et religieuses auxquelles elle est confrontée et qui se poseront avec acuité dans les prochaines décennies.
La location de l’île (proposition fantaisiste si elle est réellement préconisée) comme la trouvaille de « l’audacieuse mais pas si originale offre diplomatique (de SAMBI ou du comité Maoré ?) « un pays, deux administrations » (il reste encore quelque chose de nos références au pays du grand Timonier où Deng Xiao ping parlait d’un pays et deux systèmes) ne constituent pas de réponses adéquates à cet épineux contentieux diplomatico- politique.
N’en déplaise aux extrémistes des deux bords, notre regard sur la question maoraise doit absolument se métamorphoser et évoluer. Nous devons repenser globalement et fondamentalement notre approche sur les plans intellectuels, politiques et diplomatiques. Un travail de longue haleine, de dur labeur, de réflexion qui doit mobiliser les énergies et toutes les intelligences, les expériences innovantes, loin des préjugés idéologiques. Le militantisme d’antan a certainement sa raison d’être de part et d’autre dans l’ensemble de l’archipel tout comme l’action diplomatique. Il a produit, reconnaissons le, des résultats probants du côté des départementalistes à Mayotte et du désenchantement et des désillusions de l’autre côté du pays.
Les mutations intervenues dans nos îles, y compris à Mayotte, au cours de ces trois décennies, méritent d’être auscultées, analysées objectivement et prises en compte pour que des réponses adaptées aux réalités contemporaines puissent être apportées. C’est ma conviction profonde.
03 décembre 2009
Bakari MOHAMED