dimanche 27 mars 2011
Français ou comoriens. Pourquoi devrions nous choisir?
En pleine campagne présidentielle,"Babou des îles" titrait dans l'édition du 26 octobre 2010 du quotidien Alwatwan: Être français et président des Comores. Boire ou conduire, il faudra choisir.
Le message de l'auteur de cette chronique est limpide. On ne peut pas être français et accéder à la magistrature suprême en Union des Comores. Le destinataire était bien identifié et ciblé. Il s'agissait du juriste et professeur Abdou Djabir, candidat malheureux aux dernières élections présidentielles.
Serait il la seule cible de cette frange éclairée de l'opinion nationale qui, au nom de l'intégrité territoriale, du patriotisme et du nationalisme, cloue au pilori tous ceux qui possèdent un passeport tricolore ou émettent des opinions discordantes sur l'épineuse question maoraise?
Cette belle plume, croquant la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays, soulève un sujet très sensible et délicat aux conséquences incalculables: la double nationalité, pourtant reconnue par la constitution de l'Union des Comores.
Au delà du cas Djabir, le message habilement véhiculé dans cette chronique s'adresse aux milliers de franco-comoriens sommés par l'élite pensante du pays de choisir entre boire et conduire. Entendez bien, le choix d'être comorien ou français pour devenir président de la république, directeur d'une société publique, d'une administration centrale, entrepreneur dans le secteur privé, sportif ou artiste.
Nous sommes des centaines d'éboueurs, d'ouvriers, de femmes de ménage, de vendeurs de journaux, de petits agents du secteur public, de Rmistes ou bénéficiaires du RSA, de chômeurs de longue durée, de cadres et ingénieurs victimes de cette défiance qui ma paraît insultante et révoltante.
En raison de notre binationalité, on est considéré comme des sous patriotes, des citoyens de seconde zone pour ne pas dire des "vendus ou traîtres" à la solde de la France.
Immigrés, parents d'enfants nés en France et donc français par le droit du sol, nous sommes profondément attachés à nos racines, à notre culture, à notre pays et à son intégrité territoriale.
Certains parmi nous s'intéressent à la vie politique locale. D'autres militent dans des organisations politiques, associatives et culturelles et rêvent comme beaucoup de leurs concitoyens de changement et de progrès.
Et pourtant, nous n'avons pas voix au chapitre. Nous sommes, convenons nous en, des "non citoyens" car non électeurs. Ce droit démocratique le plus élémentaire de désigner les femmes et les hommes qui dirigent notre pays ne nous est pas reconnu.
Ici repose le véritable débat. Il est posé depuis deux décennies et n'a jamais eu de réponse satisfaisante. Et pour cause! ça arrange les "acheteurs des consciences".
En revanche, dès qu'il s'agit de "pêcher" les voix de nos familles, les politiques et les bien pensants de la République savent où nous retrouver. Ils sillonnent les cités populaires des villes de Marseille, Lyon, Paris et Nice et sollicitent l'appui et le soutien de cette communauté déchirée entre intégration et communautarisation.
Alors, boire ou conduire, parlons en. En soulevant la question du choix, Babou des îles exprime par sa belle plume aux accents très nationalistes, ce que beaucoup de nos compatriotes pensent parfois tout bas des "je viens" comme on les appelle péjorativement.
Que diriez vous à nos enfants, nés et grandis ici, qui souhaiteraient apporter leur modeste contribution à l'édification du pays de leurs parents? Seront ils marqués au fer rouge ou obligés de décliner leur certificat de bonne conduite patriotique et nationaliste pour se faire admettre dans la communauté nationale? Ou les refoulerez vous hors des frontières nationales en exigeant qu'ils renoncent à leur nationalité française?
Ce débat est passé sous silence. Et pour cause! Cette dérive patriotique me paraît inquiétante à double titre. Je suis comorien et défie quiconque pourra contester mon attachement à la terre comorienne, à sa culture, aux femmes et aux hommes qui ont façonné ce pays que j'adore.
Je suis également de nationalité et de culture françaises car j'ai exprimé la volonté d'appartenir à cette communauté, le pays de naissance de mes enfants.
J'y vis, y travaille et me sens aussi bien à Paris qu'au bord de mer de Mitsamiouli. Faut il voir en cela un reniement ou une trahison quelconque à ma patrie dès lors que cette double appartenance ne nuit pas aux intérêts vitaux de la jeune nation comorienne?
Que dit notre "Babou des îles" des comoriens confortablement bien installés dans le système, responsables de la corruption généralisée, de l'incurie et de la pauvreté qui incitent des centaines de malheureux à mourir dans le bras de mer qui sépare Anjouan de l'île de Mayotte ou qui grossissent les rangs des sans papiers en France métropolitaine, quand les donneurs de leçons de patriotisme peuvent être les passeurs et chefs des réseaux de clandestins potentiels?
N'est ce pas paradoxale de "vendre" la citoyenneté comorienne à des richissimes coreligionnaires arabo-musulmans ou à des des maffias douteuses et obliger aux comoriens nés de parents comoriens à choisir entre boire et conduire?
Alors, de grâce, ne nous obligez pas à faire ce choix cornélien.
Bakari MOHAMED
Le 23 mars 2011
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